Le 14 octobre 2025, Le Journal de Montréal a publié une lettre ouverte signée par Lucioles, rappelant l’importance cruciale du travail de proximité auprès des familles.
Partout au Québec, une cinquantaine d’organismes tendent quotidiennement la main à tous ces parents qui n’ont jamais osé chercher de l’aide, qui se retrouvent seuls, ou qui se croient dans une situation sans issue.
Les retombées du projet ayant pourtant été largement démontrées, la non-reconduction de son financement par le gouvernement soulève des questions. Nous sommes convaincus qu’une approche qui change réellement des vies doit bénéficier du soutien et de la reconnaissance qu’elle mérite.
Lire la lettre dans sa version complète :
Leçons ignorées malgré la tragédie de Granby
Malgré des résultats préliminaires indiscutables démontrant que le service est essentiel pour les familles vulnérables, le financement d’un projet pilote n’est pas reconduit, laissant les familles accompagnées sans soutien. Une décision qui soulève de sérieuses questions sur la cohérence du gouvernement en matière de prévention.
« J’ai de la difficulté à faire confiance », a confié Sonia*, la première fois qu’elle a rencontré Éloïse, accompagnatrice familles. Comme des milliers d’autres, elle a bénéficié de l’accompagnement d’une personne travailleuse de proximité au cours des trois dernières années. Ce projet, découlant des recommandations de la Commission Laurent, visait à soutenir les familles isolées afin d’éviter de nouveaux drames comme celui de la petite fille de Granby.
Le travail de proximité consiste à rapprocher les familles des ressources de leur milieu. Il repose avant tout sur la création d’un lien de confiance, véritable pierre angulaire de l’intervention. C’est souvent la première fois que ces parents parlent de leurs difficultés, craignant de voir leur situation s’aggraver ou de perdre la garde de leurs enfants.
Or, le gouvernement a annoncé la non-reconduction du financement avant même la publication du rapport d’évaluation. Les résultats préliminaires rendus publics le 3 octobre démontrent pourtant l’efficacité de l’approche : amélioration de l’accès aux ressources, atténuation de l’isolement des familles, meilleure réponse aux besoins des enfants.
Cette rupture semble motivée par des contraintes budgétaires, alors que l’abandon risque d’engendrer des coûts plus élevés à long terme.
De rares organisations, dont la mienne, ont pu s’engager à maintenir temporairement le service. Je n’en demeure pas moins préoccupée.
La fin brutale du service est incompréhensible, surtout en l’absence de mesure transitoire. Ce manque de planification semble motivé par un souci d’économie immédiate, mais contredit les principes fondamentaux de l’intervention psychosociale; il accroît le risque que des situations dégénèrent en crises nécessitant des interventions d’urgence plus coûteuses et intrusives.
Qu’est-il prévu pour préserver le réseau de protection de ces familles? Où pourront-elles désormais obtenir l’aide qu’elles reçoivent actuellement? Qui poursuivra les visites à domicile pour s’assurer que tout va bien?
Faute de réponses, les organismes doivent annoncer aux parents la fin d’un service qu’ils savent essentiel, tout en assumant seul le poids de chercher des alternatives souvent irréalistes. C’est un retour à la case départ, lourd de conséquences.
Cette rupture fragilise la confiance des familles vulnérables envers les institutions. L’effet pervers est clair : moins de recours à l’aide, plus de silence. Exactement l’inverse de l’objectif initial.
Le gouvernement avait pourtant contribué à cette approche prometteuse. Trois ans après l’avoir jugée urgente, il l’abandonne sans justification.
Revenir sur cette décision n’aurait rien de déshonorant. Ce serait au contraire un signe de courage et d’écoute. J’invite donc le gouvernement à prendre acte des résultats préliminaires, à réexaminer sa position et à préserver ce filet de sécurité essentiel pour les familles fragilisées.
Marie-Odile Côté
Directrice de Lucioles, coop de solidarité
Gestionnaire du service d’accompagnatrice familles, en partenariat avec le Carrefour Familial du Richelieu